Article de Philippe Orfali du journal Le Devoir, publié le 30 août 2016
Après y avoir renoncé plus d’une fois, la Commission scolaire de Montréal (CSDM) revient à la charge avec son projet de création d’écoles intermédiaires regroupant des élèves de 5e et 6e années et de 1re et 2e secondaires, a appris Le Devoir. Mais déjà, des experts mettent en doute le bien-fondé de cette démarche.
La rentrée scolaire de lundi pourrait être la dernière de son genre à l’école primaire Jean-Baptiste-Meilleur, dans le quartier Centre-Sud. Dès septembre 2017, les élèves de ce secteur défavorisé de la métropole pourraient être appelés à côtoyer des « grands » bien plus âgés, la CSDM ayant l’intention « d’[y] implanter une école intermédiaire pour une partie des élèves du 1er cycle de l’école secondaire Pierre-Dupuy », selon des documents dont Le Devoir a obtenu copie.
Dans le quartier Ahuntsic, la CSDM propose aussi de « réfléchir à la possibilité d’utiliser » l’annexe temporaire de l’école François-de-Laval « comme école intermédiaire ; accueillant le dernier cycle du primaire [5e et 6e] et le premier cycle du secondaire [1re et 2e secondaires] », évoquant notamment sa situation financière et la croissance importante de la population scolaire de François-de-Laval comme justification. Dans le quartier, les prévisions démographiques du ministère de l’Éducation indiquent une augmentation de 619 élèves du primaire et du secondaire d’ici 2019-2020.
Transition primaire-secondaire
Derrière ce énième projet — l’idée revient fréquemment, plus récemment en 2013 et en 2014 — se trouve la volonté de la CSDM de faciliter la transition du primaire au secondaire, soutient la commissaire scolaire Stéphanie Bellenger-Heng, élue du secteur Ville-Marie « Ce passage, c’est parfois difficile. Je propose d’expérimenter cette formule qui fonctionne très bien dans d’autres provinces, dans mon quartier, avec deux écoles qui travaillent déjà énormément ensemble. » Un projet pilote pourrait être entrepris à l’automne prochain, après consultation avec les parents, les enseignants et les autres intervenants.
Les avantages de cette formule sont nombreux, soutient-elle. « Cela permettrait vraiment de dynamiser le quartier. Par la suite, on pourrait viser des quartiers où il y a d’autres problématiques de réussite scolaire, de décrochage, etc., comme Centre-Sud ou Sud-Ouest. » Elle croit que cette transition en deux temps vers le secondaire permettrait également de réduire de façon substantielle le nombre d’élèves optant pour le réseau privé.
Formule critiquée
Professeur retraité de la Faculté d’éducation de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Pierre Bélanger émet toutefois d’importants doutes par rapport au modèle d’écoles intermédiaires, pourtant répandu dans les autres provinces. « C’est vrai qu’il existe un problème de transition primaire-secondaire, mais ce n’est pas en créant des structures exceptionnelles dans certains quartiers et pas dans d’autres qu’on va régler le problème. Ce n’est pas un problème de structure, c’est un problème d’appui pédagogique aux jeunes. »
« Qu’on prenne les coûts rattachés à ça et qu’on les investisse en soutien aux élèves en difficulté », insiste-t-il.
Bien que citées en exemple par la CSDM, les écoles intermédiaires ontariennes (aussi appelées « junior high schools » ou « middle schools ») sont de moins en moins nombreuses. La plupart des écoles intermédiaires franco-ontariennes ont fermé leurs portes au début des années 2000, alors que la province abolissait la 13e année d’enseignement, et de nombreux conseils scolaires anglophones ont fait de même.
En 2012, une étude de l’institut C. D. Howe, un groupe de réflexion, révélait que les résultats des élèves ayant fréquenté des écoles intermédiaires aux tests normalisés provinciaux étaient légèrement moins élevés que la moyenne. « La diminution du taux de réussite est plus élevée chez les étudiants venant de milieux socio-économiques moins privilégiés », concluait David R. Johnson, économiste à l’Université Sir Wilfrid Laurier et auteur de l’étude, ce qui semble contredire les arguments avancés par la CSDM.
« Compte tenu de ces preuves, cela n’a pas de sens d’ouvrir de nouvelles écoles intermédiaires. En fait, les décideurs devraient s’atteler en priorité à fermer les écoles intermédiaires, particulièrement dans les communautés dont la population étudiante baisse », écrivait-il alors.
Pour consulter l’article original, cliquez ici.